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dimanche 20 août 2023

Candidature JO d’hiver 2030 : Leurre olympique ?

 Candidature JO d’hiver 2030 : Leurre olympique ?

 

Qu’est-ce qui pousse les deux présidents de Région à annoncer leur intention de candidater alors que le choix pour les jeux de 2030 doit être annoncé dès l’année prochaine lors des JO de Paris 2024 ? 

 

Cela devra imposer une session extraordinaire du CIO puisque la France en étant candidate va chambouler le calendrier du CIO[1] qui s’impose un lieu neutre pour ce type d’annonce.

 

Mais alors que la candidature initiale de la Région Sud portait sur l’organisation des JO de 2034 ou de 2038, pourquoi vouloir perdre 4 ans en se précipitant pour une candidature qui ne pourra pas se préparer sereinement en 6 ans alors qu’elle aurait pu se projeter et se préparer sérieusement pendant 10 ou 14 ans ? Pourquoi une telle précipitation, quels enjeux sont cachés derrière cette annonce aussi soudaine que curieuse ?

 

Techniquement, il reste moins de 4 mois pour déposer un dossier crédible.  

A ce jour il n’existe pas de comité de candidature connu qui a travaillé sur un dossier commun entre les deux Régions SUD et AURA. La Région AURA ayant même arrêté de communiquer sur sa précédente « potentielle » candidature également prévue pour 2034 ou 2038 depuis plus d’un an.

 

Comment envisager sérieusement qu’il soit possible de décider en 4 mois : de la répartition des épreuves sur les différents sites (à part pour le bobsleigh qui sera forcément sur la piste de La Plagne et non en Italie comme dans le projet initial de la Région Sud qui se faisait avec des stations italiennes), des conditions d’accueil et de la répartition des délégations, de mettre en évidence les atouts des deux Régions, de prévoir les modifications des accès dans « l’esprit de Lillehammer » (esprit de 1994 es-tu là ? mais lequel ?) vu l’état des réseaux routiers et surtout ferroviaires, d’avoir l’assurance de leurs financements et d’avoir le temps de réaliser tous les travaux nécessaires … 

et d’assumer de gérer les frustrations des territoires non retenus pour accueillir des épreuves dans un dossier bâclé surtout s’il s’agit simplement d’un tour de chauffe pour préparer une candidature postérieure plus sérieuse ? 

 

Il est particulièrement curieux que cette frénésie intervienne juste après l’arrivée du nouveau Président du CNOSF David Lappartient[2] au profil très … international… mais dont l’officialisation à la tête du CNOSF n’aura lieu qu’après l’Assemblée Générale du 13 septembre 2023 et avant que les décisions d’attributions des prochains JO soient annoncées précédant l’élection d’un nouveau Président au CIO, en 2025. 

Si le nouveau Président était français, y aurait-il des difficultés pour les candidatures hexagonales ? 

Vu la baisse du nombre de candidats pour l’organisation des Jeux, c’est peu probable d’autant que l’alternance continentale qui existe encore lors de l’attribution des JO tente de rester en vigueur. Force est de constater néanmoins que les postulants à l’organisation sont de moins en moins nombreux.

Mais il y a aussi des signaux politiques à lancer. Même si le billard à 3 bandes reste une spécialité française sans être une discipline olympique.

 

Alors même que Salt Lake City envisage de postuler plutôt pour 2034 et que la candidature de Sapporo est engluée dans les suites des scandales de corruption des JO de Tokyo, faut-il que la France postule absolument pour faire croire à une concurrence avec Stockholm qui a un dossier déjà très construit[3] et depuis longtemps ? La nouvelle candidature surprise suisse apparait aussi comme décalée et stupéfiante au regard des débats qui ont lieu dans les cantons de la Confédération après les anciens échecs. 

Y aurait-il une demande de multiplication de candidatures de la part du CIO ? Il est étonnant en la circonstance que ce soit particulièrement la France et la Suisse qui sortent du bois à 4 mois de l’échéance ?

 

Cependant l’adhésion populaire, qui semble s’être reconstruite en Suède, n’est pas sans laisser présumer d’un risque si un référendum venait à être proposé aux suédois. Dans une telle perspective, une victoire française pourrait subvenir par défaut si le référendum était négatif. 

 

La France serait alors dans une situation très délicate avec un projet imprécis aussi bien pour son organisation que pour les coûts de réalisation nécessairement plus élevés lorsque l’on avance à marche forcée pour être dans les temps. On en mesure un peu les conséquences actuellement à Paris à un an des JO. Mais également parce que la décision d’attribuer les Jeux serait actée alors que les coûts définitifs des JO de Paris 2024 ne seraient pas encore connus.  

 

Ce qui poserait inévitablement la question d’un retrait possible de la candidature française pour les jeux d’hiver si des surcoûts importants apparaissaient et faisaient naitre des oppositions éloignant l’adhésion populaire à laquelle les membres du CIO sont de plus en plus attachés pour assurer la bonne tenue des Jeux.

 

De même, alors qu’une telle candidature est présentée comme une aubaine en termes de communication, comment envisager de sacrifier une partie de la saison hivernale 2030 et même des précédentes pour des territoires devenus très sensibles économiquement dans un contexte de pénurie de neige et de tourisme hivernal qui stagne en nombre de clients ? Alors même que les Championnats du Monde de ski de Courchevel et Méribel 2023 viennent de montrer certaines limites économiques de ce type d’évènement ?

 

Si les deux présidents de régions sont des partisans très engagés dans le renforcement de la neige culture, tout en communiquant régulièrement sur le fait que pour les 50 ans à venir, le ski restera le moteur de leurs territoires respectifs et qu’il n’y a pas de risque à court terme ; 

pourront-ils se permettre le risque, en plus du doute sur la présence de la neige au moment des épreuves que personne ne maîtrise, de donner la même image que les Jeux d’hiver de Pékin 2022 ? 

Mais surtout peuvent-ils avoir l’assurance que les accès aux territoires concernés seront réalisés à temps et à quels coûts ? Et avec quelles conséquences sur la fiscalité locale ? L’exemple savoyard semble avoir été complètement oublié… mais c’était avant Lillehammer[4].


Et sont-ils prêts à assumer 6 ans de travaux hypothéquant les saisons à venir entre 2025 et 2030 pour un résultat très aléatoire économiquement et politiquement ? 

 

L’espoir de financements étatique et européen[5] ne simplifiera en rien les phases de travaux nécessaires et reste dans une logique du siècle dernier où les Grands Évènements Sportifs Internationaux étaient des prétextes à l’aménagement du territoire[6] alors que les études scientifiques démontrent depuis plus de 40 ans qu’ils sont économiquement beaucoup moins rentables que ne veulent le faire croire les organisateurs[7].

 

En l’état, nul ne peut se faire véritablement une opinion puisque le dossier de candidature est encore en phase d’élaboration !  On peut même s'étonner des nombreux messages favorables au projet alors que le contenu du dossier reste un mystère… Même s’il s’agit d’un ballon sonde pour 2034 ou 2038, était-il nécessaire de se précipiter ? Sans évoquer même la question du sens de ce type d’évènement d’ici quelques années.

Sera-t-il encore acceptable en 2030 d’organiser des évènements sportifs qui mobilisent autant de moyens et de personnes au regard des enjeux environnementaux et des contraintes économiques ?

 

Quoi qu’il en soit, on ne dépose pas une candidature comme on va aux champignons au hasard, sans connaitre les lieux les plus productifs en espérant trouver de quoi faire un bon repas. 

Sauf si l’objet n’est pas de faire une cueillette mais de se promener en montagne, dans les salons VIP pour faire un peu de communication, en attendant « l’Or blanc » qui devient de plus en plus rare ou pour répondre à une demande du CIO pour faire preuve de complaisance.

 

L’heure olympique d’hiver n’est peut-être pas pour tout de suite, nous nous contenterons du leurre.



Publiée le 20 août 2023

[6] Jean-Michel DewaillyClaude Sobry  (1993) "Les grands événements sportifs : prétexte à l’aménagement du territoire", Revue Hommes et Terre du Nord ; Lille 1993/2.

[7] Martin Müller, David Gogishvil, Sven Daniel Wolfe  (2022) The structural deficit of the  Olympics and the World Cup: Comparing costs against revenues over time.  Department of Geography and Sustainability, University of Lausanne, Switzerland. Juillet