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jeudi 25 janvier 2024

JOP HIVER 2030, 2034, 2038 : La pire décision possible pour la France et pour le CIO c’était 2030 !


 « Au-delà des postures, dans un contexte contraint par le réchauffement climatique limitant progressivement après 2040/2050 les sites pouvant accueillir des épreuves lors des JO d’hiver, 2030 était le choix le plus calamiteux pour organiser des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver complètement déraisonnable mais le fait d’ambitieux. »


J’arrêterai là, le plagiat facile du plaidoyer pro-JOP 2030 d’Eric de Fenoyl[1] sur le site Décideurs du Sport qui semble s’affranchir du principe de réalité raisonnée, à défaut d’être raisonnable, d'envisager que 5 ans et demi suffisent pour organiser un évènement tels que les Jeux Olympiques et Paralympiques pour traiter la question du choix dans la date de ces Jeux, presque présentés comme ceux de la dernière chance pour la France. Les questions de référendum n’étant effectivement qu’accessoire puisque le CIO s’assoit avec aisance sur ses propres recommandations de s’assurer pour les villes candidates, d’avoir le soutien des populations locales.

 

« Les projets des Alpes françaises et de Salt Lake City se distinguent par leur vision de l’expérience des athlètes, leur alignement sur les plans de développement socio-économique régionaux et nationaux, et le fort soutien de la population et des gouvernements à tous les niveaux. ».[2]

« Le fort soutien de la population » est désormais décrété par décision du CIO, c’est assez pratique, même si c’est particulièrement irrespectueux pour les populations.

 

Plus dommageable pour le CIO, cela permet de faire germer assez rapidement un sentiment anti-JOP et anti-CIO qui se moque ouvertement de l’avis des populations concernées. Pire, cela participe à radicaliser certains positionnements qui pourraient nuire à l’organisation même des JOP. La question est même au cœur du contrôle des profils des volontaires des prochains JOP de Paris 2024.[3]

 

 

Présenter cette candidature comme « 2030, la bonne « fenêtre de tir » dans le contexte de réchauffement climatique », relève au mieux d’une appréciation erronée, au pire d’une méconnaissance des arguments utilisés à l’envie par les deux présidents de Région pour justifier leurs investissements massifs dans les infrastructures liées au ski depuis plusieurs années et pour encore les 30 prochaines. 


30 ans, de quoi envisager des amortissements raisonnables dans un contexte maitrisé, bien que certaines évolutions climatiques viennent perturber des certitudes de moins en moins durables, et de moins en moins réalistes.

 

Région Sud : https://www.maregionsud.fr/actualites/detail/neige-naturelle-grace-a-la-region-sud-letude-climsnow-permet-aux-stations-de-ski-de-se-projeter

 

Région AURA : https://www.auvergnerhonealpes.fr/actualites/plan-montagne-faire-dauvergne-rhone-alpes-la-premiere-montagne-durable-deurope

 

Il est en effet plus que discutable d’envisager « qu’il est économiquement indiscutable que la première échéance olympique est la meilleure puisque la mieux à même de laisser le plus de temps après l’événement. En retenant, pour les besoins du raisonnement, une échéance pessimiste de 2050, l’édition 2030 laisse pour amortir l’événement et organiser / poursuivre la transition, 20 ans là où l’échéance de 2038 n’aurait laissé que 12 ans.». 

 

Si l’on s’en tient aux propos répétés des deux présidents de Régions insistant sur fait que « jusqu’en 2050 voire 2060 il y aura toujours de la neige », pourquoi se précipiter en ne se donnant pas le temps de réaliser les investissements nécessaires pour la transition évoquée pour accompagner les territoires de montagne tout en préparant les Jeux ?

 

Nous ne reviendrons pas sur les possibilités d’amortir l’évènement, les études scientifiques montrent depuis plus de 40 ans (contrairement aux rapports des cabinets conseils qui en ont fait leur business) que les retombées sont beaucoup moins positives que prévues et annoncées lors des campagnes de candidatures. 

 

 

The structural deficit of the Olympics and the World Cup: Comparing costs against revenues over time. Juillet 2022

https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0308518X221098741

Martin Müller

Department of Geography and Sustainability, University of Lausanne, Switzerland

David Gogishvili

Department of Geography and Sustainability, University of Lausanne, Switzerland

Sven Daniel Wolfe

Department of Geography and Sustainability, University of Lausanne, Switzerland

 

L'accueil des JO à Paris, regard de l'économiste Wladimir ANDREFF

https://youtu.be/sr3FTJUJyr0

 

Où il est question très brièvement de l’impact négatif des JO de Albertville de 1992… et de son coût pendant les 18 années suivantes…

Et des estimations farfelues de certains cabinets de consulting ou écoles de commerce, qui manifestement commercent plus avec leurs clients/étudiants qu’avec le monde du business réel.

 

Jeux Olympiques : la malédiction du vainqueur (2016)

https://www.alternatives-economiques.fr/societe/jeux-olympiques-la-malediction-du-vainqueur-201506110600-00001428.html

 

Wladimir Andreff; Pierre Arnaud, et al (1991),  Les effets d'entraînement des Jeux olympiques d'Albertville : retombées socio-économiques et innovations dans le domaine du sport en Région Rhône-Alpes : rapport final

 

Andrew Zimbalist: "The Risky Economics of Hosting the Olympics"

https://youtu.be/ajcVLX0hSx8?si=8Ev8BRc5lcs-YP3x

 


Si « 2030 est la bonne fenêtre de tir », elle l’est surtout pour les ambitions respectives des trois porteurs du projet, sans lien avec le réchauffement climatique, ni l’intérêt des territoires.[4]

 

S’interroger sur la transition qui pour le moment reste un vœu pieux pose un certain nombre de questions. Sauf pour Métabief qui a déjà réorienté ses investissements sans arrêter l’activité hivernale basée sur le ski.

 

Comment en effet, construire une transition et faire baisser les GES en imaginant réussir à transformer les réseaux ferroviaires en 5 ans et demi (tout doit être livré pour décembre 2029) ?

Une loi d’exception olympique ne modifiera pas le fait que les travaux ne se font que sur 24h et que des territoires sans ligne ferroviaire ne pourront pas décarboner massivement leurs transports en moins de 6 ans. 

Ni compenser ce qui n’a pas été réalisé avant, pourtant certains se laissent aller à croire les miracles possibles…[5]


L’expérience malheureuse du Grand Paris Express prévu pour les JOP de Paris 2024 semble être en dehors des radars des promoteurs de ce projet pour 2030.

 

Où l’on comprend surtout que l’objectif est de réaliser ce qui n’a pas été fait précédemment lors des mandats précédents… alors que la compétence sur les réseaux ferroviaires TER est bien celle des régions.

 

Profiter des JOP pour faire payer par d’autres ce qui relève de choix locaux… les Grands Evènements Sportifs Internationaux, prétexte à l’aménagement du territoire, une vision du siècle dernier qui perdure.[6]

 

De même la ligne à voie unique reliant Albertville à Bourg Saint Maurice (BSM) ne pourra être doublée, pas plus que les 12 voies existantes à la gare de BSM, terminus international, ne pourront être étendues.

 

La décarbonation des transports imaginée à partir de l’hydrogène dont les premières expérimentations devraient apparaitre « ici 3 à 5 ans »[7]… (sic), risque d’être « légèrement » contrainte par le principe de réalité. La généralisation n’est donc pas certaine pour 2030…

 

Et lorsqu’on évoque les ascenseurs valléens, s’ils ne sont pas connectés directement avec le réseau ferroviaire, ils ne pourront pas atteindre les objectifs annoncés et répétés à l'envie de décarbonation des transports des touristes venant en voitures (57% des GES selon l’étude de l’ANMSM et de l’ADEME 2009)[8].

 

L’exemple de l’ascenseur de Bozel est de ce point de vue édifiant et tellement caricatural. Situé à 14,3 km de la gare de Moutiers (73) et malgré un parking prévisionnel de 600 places, il ne pourra pas diminuer significativement le nombre de véhicules à destination de Courchevel (40 000 lits touristiques). Il ne servira au final qu’aux locaux principalement, saisonniers et permanents, qui n’auront plus besoin de chercher une place de parking à Courchevel durant la saison d’hiver. 

 

L’exemple du parking du funiculaire des Arcs-BSM est éclairant depuis 1989, sur les 620 places de parking il n’y a aucune voiture de client séjournant à la semaine sur un des sites des Arcs… 


Le Grand Bornand ou La Clusaz inaccessibles en train, n’auront d’autres choix que les bus ou les voitures… Même si un fantasque projet d’ascenseur est évoqué pour arriver sur les hauteurs de La Clusaz… sans que la gare de départ ne soit encore décidée : Thônes ou une zone proche d’Annecy… suspens…

 

Mais si la transition est un des objectifs évoqués pour justifier l’organisation de ces Jeux, pourquoi la Région AURA a-t-elle sanctionné une association d’industriels qui œuvre dans l’Outdoor parce qu’ils ont soutenu une tribune favorable aux JOP pour peu qu’ils soient respectueux de l’environnement ?[9]

 

Si les JOP se veulent « sobres et respectueux de l’environnement »[10], pourquoi réinjecter 10 à 15 millions dans une piste de bobsleigh déficitaire chroniquement depuis 32 ans (et source d’une partie du déficit des JO d’Albertville) qui présente la particularité d’avoir « le nombre de licenciés en luge et skeleton n’a jamais atteint 50, ni dépassé les 100 en bobsleigh depuis 10 ans » et qui a déjà bénéficié en 2007 d’une rénovation de 6 millions d’euros … Même si elle est utilisée comme produit annexe par la plus grande station de ski du monde… qui assume principalement son déficit depuis que le Conseil Départemental a cessé ses subventions, ces 10 et 15 millions ne seraient-ils pas plus nécessaires pour agir pour la rénovation énergétique des 50 % de lits touristiques encore chauds de La Plagne[11] ?

 

Pourquoi deux patinoires à Nice « qui ne couteront rien aux Niçois »[12] (tout est possible à Nice, même des « non coûts » de fonctionnement apparemment) alors que les coûts et la potentielle rénovation de la patinoire olympique de Pralognan-la-Vanoise sont au cœur des enjeux budgétaires de la commune et ont même entrainé la démission de la précédente équipe municipale et de nouvelles élections ?

 

Où est l’intérêt des territoires et la préparation de la transition ?

 

Dans la création d'un centre de préparation aux grands évènements sportifs, en compensation de l’absence d’épreuves olympiques en Ubaye[13] ? Les tribulations du CNEA de Font Romeu depuis 1967 et la concurrence d’une station comme Tignes positionnée sur cette niche depuis longtemps sont-elles accessoires et sont-elles même seulement connues des porteurs de ce projet ?

 

D’autres pistes sont envisageables pour maintenir des Grands Évènements Sportifs Internationaux à condition que l’on accepte de les adapter aux contraintes évolutives et que les circonstances nous imposent. Mais seulement si l’intérêt porté aux valeurs protées par les JOP ne sont pas que des prétextes pour d’autres objectifs. A nous de construire des solutions prouvant notre capacité d’adaptation[14], au lieu de tordre la réalité pour tenter la faire rester comme avant. Parce que c’était bien et bien mieux avant. 

 

 

Pour ce qui est du CIO.

 

Le choix de ne retenir qu’une seule candidature pour le « dialogue ciblé » est un très mauvais message pour les quelques pays démocratiques encore volontaires pour s’engager dans le chemin de croix auquel ressemble désormais une candidature olympique. Préparer un dossier pendant plusieurs années, montrer sa détermination en déposant plusieurs candidatures au fil des olympiades, ne suffit plus. Il faut juste accepter les deals (ou les oukases… selon le niveau de collusion) pour obtenir le Saint Graal. Qui est de moins en moins convoité.

 

Cette décision laissera des traces et entachera les prochaines décisions du CIO qui risque devoir négocier à la baisse ses exigences pour les prochaines olympiades. Au risque de se « FIFAridiculiser » en ne devant qu’arbitrer entre pays autoritaires et « accessoirement » peu démocratiques. Ce qui transformerait les valeurs olympiques en outils de propagande que l’on pensait relever d’une autre époque.

 

A titre personnel, je devrais être favorable à cette candidature. Formé au biberon des pratiques sportives fédérales et olympiques, ayant bénéficié directement lors des JO de 1992 de l’expérience exceptionnelle (et rémunérée dans le cadre d’un contrat de recherche) d’avoir pu contribuer à un rapport officiel commandité par le Premier Ministre Michel Rocard pour préparer (en catastrophe) une étude sur l’usage post-olympique de la piste de Bobsleigh de La Plagne alors que les travaux étaient engagés et non modifiables. Et dans le cadre de la candidature d’Annecy 2018 avoir participé à une commande sur la réalisation et l’usage de la halle de patinage de vitesse envisagée à Seynod.


Je devrais me réjouir de cette candidature. Malheureusement, les deux expériences dans le back office de l’ingénierie des organisations olympiques précédentes m’incitent à être dubitatif sur les effets bénéfiques pour les territoires. Ainsi que d'avoir le temps d'adapter véritablement les territoires aux personnes en situation de handicap, bien au delà des équipements temporaires pour les épreuves sportives. Les déboires et déconvenues déjà observées pour les Jeux Paralympiques de Paris 2024 devraient nous alerter sur notre propre capacité, et notre réelle volonté, à réaliser ce qui devrait exister depuis longtemps. Cela permettrait de justifier véritablement cette organisation et non de prendre l'excuse de l'organisation pour mettre les territoires "aux normes".  


Mais surtout parce que les arguments qui nous vendent des JOP « sobres et respectueux de l’environnement » ne sont que des discours pro domo destinés à instrumentaliser l’esprit olympique, dont les valeurs se délitent peu à peu.


Publié le 25 janvier 2024 9h30



[4] Les Alpes françaises, une candidature très politique pour les Jeux d’hiver 2030

 https://www.letemps.ch/sport/les-alpes-francaises-une-candidature-tres-politique-pour-les-jeux-d-hiver-2030

 

[6] Jean-Michel Dewailly, Claude Sobry  (1993) "Les grands événements sportifs : prétexte à l’aménagement du territoire"Revue Hommes et Terre du Nord ; Lille 1993/2.

 

[8]  L’ascenseur valléen a-t-il le pouvoir magique de décarboner les Jeux Olympiques ?

https://www.altitude.news/montagne-durable/2023/12/05/ascenseur-valleen-bozel-pouvoir-magique-decarboner-jeux-2030/#google_vignette

[11] Rapport définitif de l'IGESR sur la Fédération Française des Sports de Glace

 https://www.sports.gouv.fr/rapport-definitif-de-l-igesr-sur-la-federation-francaise-des-sports-de-glace-1916

 

[12]  JO d’hiver de 2030 : Christian Estrosi envisage une nouvelle patinoire à Nice

https://www.lefigaro.fr/nice/jo-d-hiver-de-2030-christian-estrosi-envisage-une-nouvelle-patinoire-a-nice-20231109