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mardi 29 septembre 2020

Les stations de montagne, une nécessaire transformation du modèle économique.

Ceci est la version intégrale du texte publié dans Montagne Leaders n° 280 de septembre-octobre 2020 qui était limité en nombre de signes pour rentrer dans le gabarit de l'édition papier.

Le document de Montagne Leaders a été construit par mes soins suite à leur sollicitation et j'ai eu une totale liberté d'écriture. 

Je les en remercie.


Publié le 29 septembre 2020



Le processus de transformation des stations de montagne continue au niveau mondial. Reste que les diagnostics ne sont ni partagés, ni envisagés selon les mêmes perspectives par les acteurs des territoires concernés comme de certains décideurs politiques nationaux, dont on ne sait pas s'ils saisissent l'importance des enjeux. D’aucuns évoquant des transformations nécessaires liées aux évolutions conjoncturelles (crise de la Covid-19, changements climatiques), alors que d’autres s’interrogent plus sur les origines structurelles des changements à réaliser pour accompagner les mutations nécessaires ; situations de crise ou pas[1].

 

Si les conditions de l’offre touristique de montagne se sont transformées ces dernières décennies, c’est principalement en raison de l’arrivée à maturité du marché de la montagne l’hiver, d’une identification et une connaissance plus fine des produits par les différentes clientèles, habituées ou ponctuelles. A cela s’ajoute pour la France la particularité d’avoir une partie de clientèle qui est captive : les propriétaires d’hébergements qui participent directement ou indirectement à l’activité économique (usages, locations, prêts).

 

La structuration du modèle s’est constituée autour d’une offre d’hébergements principalement en appartements ou résidences et de l’excellence des domaines skiables et la formule « stations de ski » est en l’illustration parfaite; puisque les sites se sont centrés sur le développement économique "par et pour le ski" ainsi que de quelques autres formes de loisirs d’extérieurs.

 

Après 50 ans de développement, de manière quasi identique, basé principalement sur la construction d’appartements neufs, on constate une difficile mutation de l’offre arrivée à un stade où elle n’est plus considérée comme spécifique et exceptionnelle. Si le constat de préserver les lits chauds est identifié dans tous les territoires de montagne et sur le littoral, changer les manières de faire et arrêter de construire est encore aujourd’hui inenvisageable pour une majorité d’acteurs.

 

Depuis près de 20 ans les tentatives de rénovation d’hébergements tentent de limiter la création de lits froids[2]. Force est de constater que les échecs des ORILS et de la foncière immobilière de la CDA, prouvent que les modèles proposés ne sont pas efficients[3] et ne restent que des pis-aller tant que l’on ne maîtrisera pas complètement ces lits pour en faire des lits réellement touristiques, contrairement à certains de nos concurrents. Ceux qui avaient imaginé cette possibilité n’ont pas été soutenus à l’origine[4] et les stations se trouvent coincées dans un modèle qu’il est difficile de transformer radicalement. La montée en gamme apparait alors comme une fuite en avant, espérant limiter les effets de la baisse d’attractivité des destinations au profit de clientèles plus internationales et disposant de revenus confortables.

 

Les clientèles de proximité, françaises, qui ont vu leurs taux de départ s’infléchir au fil des décennies, mais qui restent le socle économique de la majorité de stations (via les propriétaires), devraient être retravaillées. Encore faudrait-il que les offres (prestations/prix) correspondent aux attentes de ces visiteurs potentiels dont il faudrait regagner l’intérêt.

 

L’activité principale, reposant sur l’hiver depuis les années 60, a fait prendre des habitudes de fonctionnement et d’investissements qu’il est difficile de transformer. Les cinq mois d’activités hivernales générant des revenus conséquents et les volumes de clients restant la cible, l’organisation de l’offre a beaucoup de mal à être repositionnée et à s’adapter aux évolutions des attentes de visiteurs plus exigeants mais aussi plus divers. 

 

 

Les benchmarks se succèdent depuis des années, on se compare avec l’Autriche, la Suisse, l’Italie, l’Amérique du nord pour faire le constat que l’environnement culturel pèse sur les manières de proposer des produits aux visiteurs, mais nous ne modifions pas (ou très peu) nos offres. L’excuse du poids des charges ou des contraintes administratives, ne peuvent expliquer à elles seules le décalage de résultat des différentes nations du tourisme hivernal.

 

Avec moitié moins de lits touristiques que nous[5]et [6], l’Autriche réalise plus de journées skieurs en saisons hivernales[7], alors même que nous avons des tarifs de forfaits moins chers qu’eux dans la majorité des stations françaises. Les seuls excursionnistes ne peuvent expliquer ce résultat. Cependant leurs taux de remplissage, tout au long de la saison, sont bien meilleurs et beaucoup plus réguliers. Des balades automnales, proposées depuis longtemps en passant par les offres estivales et hivernales, ce sont des modèles économiques différents que proposent nos concurrents. Il sera d’ailleurs particulièrement intéressant de suivre, après cette année chaotique comment Ischgl va réajuster (ou pas) ses offres et ses axes de communications, suite à leur expérience malheureuse cet hiver[8].

 

Toutes les zones de montagne vont subir les effets des changements climatiques dans les prochaines années. Si l’offre ski a encore de belles années[9], celle-ci s’est banalisée pour les clients réguliers au fil des ans. Et même si l’excellence des domaines skiables est reconnue, l’enjeu repose désormais sur l’offre globale et pas seulement sur l’offre « ski ».

 

Il conviendrait donc de repenser celle-ci au-delà de l’ajout de centres aqua-ludiques pour compléter les prestations existantes l’hiver, de luges 4 saisons ou des pistes VTT pour l’été. Même si les équipements proposés sont de qualité, ils s'intègrent dans un ensemble de prestations où le service client doit être optimisé. Et dans de nombreux cas, il reste des marges de manœuvres importantes.

 

Les destinations montagnes sont des lieux d’exceptions pour les pratiques récréatives et sportives d’intensités variées, elles gardent toujours leur potentiel d’espaces naturels permettant de bénéficier d’environnements particulièrement sains et propices à la contemplation et au bien-être. En cela, elles disposent d'un très riche potentiel et d'une extrême diversité. La qualité de vie dans de nombreux territoires de montagne reste un atout majeur, qui ne saurait se suffire à lui-même, si les aménagements réalisés pour l’activité touristique viennent grignoter son capital d’environnement préservé.

 

Mais pour devenir de véritables stations touristiques de montagne attractives et accueillant des visiteurs dans des conditions de séjours acceptables sans trop de nuisances tout au long de l’année, il faudrait réétudier certaines formes d’organisations. Si le terme "4 saisons" est trop marqué, en différenciant des périodes aux densités de fréquentations très fortes (ce qui est faux même pour certaines semaines hivernales) et celles qui le sont moins ; la recherche d'offres proposées sur l'ensemble de l'année, permettrait de transformer l'économie des territoires.

 

Si certains travaux importants sont réalisés en période estivale (notamment la construction d’hébergements), les nuisances qu’ils occasionnent n’incitent pas le client à revenir ou à recommander la destination. Les modifications de remontées mécaniques impliquent souvent des travaux lourds, ceux-ci restent ponctuels et pas systématiquement proches des centres de vie, mais peuvent générer quelques désagréments sur les domaines de balades. Malgré tout, certaines destinations sont identifiées comme leaders dans les travaux au cœur de station chaque année… Cela ne fait que renforcer une stratégie basée sur l’hiver et le «sacrifice» régulier de l’été.

 

Mais il est des « nuisances » plus récurrentes et historiques : les bouchons liés aux accès stations en saison hivernale. Même en dédoublant les voies (ex accès tarentaise avant 1991 sur une seule voie) il y a toujours des difficultés. L’organisation principale du samedi au samedi pénalise l’ensemble des acteurs. Les propositions d’arrivées en décalées existent mais offrent un nombre de lits limités. Liée aux habitudes et à l’excuse des calendriers scolaires (français et étrangers) cette contrainte s’est maintenue. Sauf pour certains hébergeurs (hôteliers ou Club Med, et désormais certains services de conciergeries… ) qui ont adapté leurs offres aux conditions d’accès en proposant des séjours du dimanche au dimanche ou avec des arrivées possibles dès le jeudi comme en Isère[10] afin que leurs clients ne subissent pas les vicissitudes des arrivées chaotiques.

 

En fait, c’est l’adaptation des stations aux évolutions des demandes des clients et à l'attention portée à leur confort y compris lors de leurs voyages pour venir, repartir et revenir dont il est question. Certains comme Pierre & Vacances ont commencé timidement dès 2007, à proposer des courts séjours pour s’adapter aux évolutions. De même, on peut s’interroger, alors que tout le monde réclame le retour des classes de neige pour faire renouer les jeunes avec la montagne l’hiver ; pourquoi une offre mixant ski et éducation n’est pas proposée plus souvent (Orcières, Chamrousse, Queyras…)[11]. Si les possibilités d’hébergements en collectifs ont diminué (principalement parce que l’on a autorisé les ventes à la découpe et relativement peu soutenu ce type d’hébergements), proposons les services qui permettent, hors vacances scolaires, d’avoir aussi des enfants qui viennent avec leurs parents ou grands-parents. Rester sur la représentation d’un modèle idéalisé, qui a contribué au développement il y a 50 ans n’est plus d’actualité et ne reviendra pas.

 

Puisqu’aucune station ne fait jamais réellement 100% de remplissage en raison des lits froids, ni en février zone Paris-Toulouse, ni lors de la semaine de nouvel an, cela signifie qu’au plus fort de la saison il y a toujours des lits disponibles et donc une perte d’attractivité. 

 

Il serait temps de repenser les offres sur l’ensemble de la saison en fonction de l’évolution des exigences des visiteurs et d’envisager des stratégies de reconquête sans fantasmer sur des volumes de clientèles asiatiques qui n’existent pas ou sur des clientèles internationales dont on ne sait si elles auront la possibilité de revenir. 

 

Le grand frisson lié à l'annonce de l'arrêt des Eurostar pour l'hiver prochain (évoqué lors des Assises de la relance en montagne en juillet 2020 à Méribel), qui correspond un outil d'une stratégie de communication britannique pour peser sur les négociations du Brexit, en est un bon exemple. Il n'est pas incongru de penser que la bataille porte peut-être simplement sur le déplacement éventuel du siège d'Eurostar hors de Grande Bretagne en raison du Brexit, maintenant que l'état britannique s'est désengagé de la compagnie et de la fréquence des liaisons avec Bruxelles. Mais la fusion avec Thalys qui reste d'actualité[12] pourrait aussi être aussi une des raisons de cette communication. 

 

Les vallées bénéficiant de ces trains ont réagi avec force en pensant aux clients qu'ils risquaient de perdre. Il serait étonnant, alors que la SNCF possède toujours 55% des parts de la compagnie Eurostar, que l'état français laisse faire alors que le bras armé de la Caisse des Dépôts et Consignations, la Compagnie des Alpes, gère "quelques" stations pour le compte des communes dans le cadre des Délégations de Service Public (DSP). Si l'Etat laisse faire ce sera la preuve que ses décideurs ne comprennent pas les enjeux ou n'en ont que faire vu de Paris. Et on peut raisonnablement être inquiet lorsqu'on regarde comment ils ont, par exemple, sacrifiés les lignes ferroviaires en zone de montagne, mais également tout le réseau hospitalier et les services aux publics dans certains territoires.

 

Reste que si ces trains étaient supprimés, une partie de la clientèle viendrait s'ajouter aux nombreux visiteurs accédant aux stations par voie routière.

 

Indépendamment de cette situation ponctuelle, on constate qu'une partie de l’offre ne correspond plus à quelques clientèles de moyennes gammes surtout au regard du rapport qualité/prix de certains services proposés.

 

 

Si la crise de la covid a une fois de plus chamboulé les prévisions d’une saison hivernale qui s’annonçait excellente, il serait nécessaire de revoir le modèle économique des territoires de montagne qui ont des potentialités tellement importantes… que les certitudes sur des axes de développement n’ont jamais réellement fait évoluer.

 

Et désormais, il est l’heure de passer à autre moment de l’histoire[13] surtout si l'on souhaite réellement tenter d'agir sur les conditions du maintien de l'activité économique des territoires dans l'intérêt de tous.

 

 

« Le tout ski c’est fini, mais sans le ski tout est fini » déclare depuis des années Laurent Reynaud, mais pour moi, « Avec ou sans ski, la montagne est un territoire jamais fini »…

 

… il faut juste éviter de persévérer dans certaines orientations obsolètes ; penser aux aspirations des visiteurs mais aussi aux besoins des habitants à long terme.

 

 

 


Eric Adamkiewicz

Maitre de conférences en management du sport et développement territorial.


Ancien Directeur Général des Services de l'Office de Tourisme Les Arcs-Bourg St Maurice

Ancien Chef du Service Tourisme et Economie Montagnarde au Conseil Général de la Drôme

 

 Profil complet Eric Adamkiewicz

 

 

 

 



[1] Philippe Bourdeau et Coll (2007), Les sports d’hiver en mutation. Crise ou révolution géoculturelle ? Edition Lavoisier - Collection Finance-gestion-management. Juin 2007 - 230 pages.

 

[2] Julien Noël (2002), Bilan et perspectives de l’immobilier de loisirs dans les stations touristiques, analyse d’impact de la loi Demessine -Défiscalisation des résidences de tourisme dans les Zones de Revitalisation Rurale sur la région Midi-Pyrénées et le massif Pyrénéen- SEATM, Mémoire de DESS « Sport, Tourisme et Développement Régional », Toulouse, novembre 2002.

 

[3] Caisse des dépôts : Foncière Rénovation Montagne, la déception.

La Tribune, les Acteurs de l'Economie Par Didier Bert  publié le  26/06/2017.

http://acteursdeleconomie.latribune.fr/strategie/finance-droit/finance/2017-06-26/caisse-des-depots-fonciere-renovation-montagne-la-deception-741344.html

[4] La création de la station des Arcs ou le management d’une utopie, par Roger Godino, séminaire Vie des Affaires, Les Amis de l’Ecole de Paris, 3 Juin 1994 

https://www.ecole.org/fr/seance/7-la-creation-de-la-station-des-arcs-ou-le-management-d-une-utopie

 

[7] 2019 International Report on Snow & Mountain Tourism par Laurent Vanat 

https://www.vanat.ch/RM-world-report-2019.pdf

 

[8] Coronavirus/ la station autrichienne d'Ischgl sacrifie la fête pour sauver la prochaine saison Le Figaro publié le 21 août 2020

https://www.lefigaro.fr/flash-actu/coronavirus-la-station-autrichienne-d-ischgl-sacrifie-la-fete-pour-sauver-la-prochaine-saison-20200821

 

[9] Hugues François, Emmanuelle Georges, Samuel Morin, (2019) Verra-t-on la fin du ski dès 2050 ? The Conversation publié le 27 mars 2019

 

[10] http://www.skiez-en-decale.com

 

 

 

 


Pour ceux qui souhaitent poursuivre…



Dossier Tourisme


ou




Tourisme, année zéro.
Dossier Le Monde Diplomatiquejuillet 2020


Lorsque le diagnostic du réel reste ignoré, la réponse demeure inadaptée !
Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme publié le 8 juillet 2020


Le Monde publié le 26 juin 2020  
par 
Malgorzata Ogonowska maîtresse de conférences en économie du tourisme à l’université Paris-VIII; 
Philippe Naccache professeur associé en stratégie et développement durable à l’Inseec ; 
Julien Pillot enseignant chercheur en économie à l’Inseec et chercheur associé CNRS; 
Eric Adamkiewicz maître de conférences en développement territorial à l’université Toulouse-III. 


(le marché intérieur n'existe pas pour une "pseudo-élite" qui déraisonne…)
Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme publié le 8 mai 2020

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme 
publié le 23 ème jour du temps du dedans, soit le 8 avril 2020. 12h40


Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme publié le 17 février 2020

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme publié le 4 janvier 2020

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Août 2019

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Juillet 2018, 

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Août 2017, 

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme 6 octobre 2017, 

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Juin 2017, 

Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Août 2016, 


"Le miracle viendra par la grâce des enneigeurs" ou "Cachons nos erreurs sous la neige" ! 
Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Mai 2016, 


L'orchestre joue avec entrain pendant que le bateau coule ! Au moins on a l'ambiance ! 
Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Janvier 2016, 



Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Décembre 2014



Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Décembre 2014 

 
Blog Aménagement, Récréation, Sport et Tourisme Novembre 2014, 


Téléram Luc Le Chatelier

 

Publié le 06/08/10 






Rapport qui compile toutes les demandes des professionnels et acteurs de la montagne en 2005. Un document très intéressant pour comprendre la vision de ceux qui font la montagne, qui aménagent et qui essayent de développer une économie touristique avec ses contradictions. 

A lire pour observer si on a beaucoup évolué dans les actes et la réflexion depuis 2005…


Attractivité des stations de sports d'hiver
Reconquête des clientèles et compétitivité internationale. 
Rapport au Premier Ministre Dominique de VILLEPIN. Vincent ROLLAND, Député de Savoie, décembre 2006. 





Publié le 3 octobre 2018

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