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vendredi 16 mai 2025

Au-delà du design actif : construisons un urbanisme actif et sportif !

 La France vient d’accueillir les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques. L’enthousiasme suscité par ces deux évènements planétaires a été indéniable. Néanmoins, les Français souffrent de plus en plus de maux liés à l’inactivité physique et aux comportements sédentaires quotidiens prolongés (station assise ou couchée prolongée). Le ministère chargé des sports rappelait déjà en 2020 que l’inactivité physique tuait 4 fois plus que les accidents de voiture, et dans un rapport de 2022, on lit que 51 193 décès prématurés par an en France seraient liés à un comportement sédentaire quotidien prolongé[1]

En réaction, une notion a fait petit à petit une entrée remarquée, celle de « design actif ». Sur le terrain, le design actif se matérialise souvent par la création, dans les espaces publics, de mobiliers urbains, de marquages au sol et de petits équipements censés déclencher ou favoriser la pratique d’activités physiques et sportives (APS). La visibilité et la qualité esthétique des réalisations ont une importance primordiale dans la mise en oeuvre. C’est sur ce point précis que nous souhaitons réfléchir et proposer un angle de vue diffèrent. 



A notre avis, agir sur la dimension, pourtant intéressante, de l’embellissement n’est pas une réponse suffisante aux besoins de territoires qui souffrent d’un manque structurel d’équipements. Dans une situation de carence, le passage par des rénovations d’espaces existants mais aussi par la création de nouveaux lieux est, arithmétiquement, obligé. Il faut ajouter à cela que l’objectif de favoriser, dans un but de santé publique et de cohésion sociale, le développement des APS, ne peut pas uniquement passer par la création d’installations sportives strictement délimitéesPour certaines raisons, un bon nombre de personnes ne souhaitent pas s’inscrire dans un cadre strictement sportif et il faut, évidemment, en tenir compte, sans pour autant les exclure des possibilités de pratiques. 


Comment parvenir à tout cela ? La réponse passe certainement par l’urbanisme actif et sportif systématique, c’est-à-dire un urbanisme où, dès la conception de la ville, tout ce qui permet la mise en pratique des APS est pris en compte comme un sujet fondamental et où l’objectif est d’offrir, à des publics très divers, les possibilités de pratique, les plus diversifiées possibles. 

 

1) L’architecture du choix 

 

Notre approche de l’urbanisme et sportif n’est pas un totalitarisme en survêtement. Elle repose plutôt sur la notion de choix, car c’est bien la possibilité de choisir les APS pour toutes et tous qui est en jeu et non une obligation imposée ou induite. 

 

Des barrières très concrètes peuvent se dresser devant celles et ceux qui souhaitent pratiquer. S’il n’y a pas besoin d’expliquer pourquoi la carence d’équipements pour tous, et notamment d’équipements accessibles aux personnes en situation de handicap, est un problème, la question des freins psychologiques et ognitifs (biais cognitifs par exemple) est à préciser. Si certains ne souhaitent pas pratiquer, d’autres se l’interdisent pour un ensemble de raisons particulières, systématiquement personnelles, et souvent inconscientes. On peut craindre de s’exposer, se considérer comme trop faible ou encore estimer qu’on n’est pas en situation (lorsque, par exemple, on accompagne des enfants dans l’espace public…). Il s’agit donc de réfléchir à des aménagements et à des dispositifs d’animation et d’accompagnement divers qui viennent conforter les « grilles de lecture » et les souhaits de ceux qui pratiquent les APS, tout en offrant des possibilités de contournement des biais cognitifs et croyances limitantes, en démontrant, par l’aménagement, que la pratique de toutes et tous est possible et, au fond, plutôt facile. Dans ce cas, offrir de la visibilité effective aux pratiquants peut renforcer l’effacement des freins mentaux par mimétisme (exemple du biais de conformité) et faire évoluer la conception de la ville et du territoire de chacun. 



Il est impératif de faire sauter deux verrous : celui de l’insuffisance de l’offre et celui d’une représentation quasi oligarchique des activités physiques et sportives que d’aucuns perçoivent comme nécessairement étrangères à leur vie. Et ces verrous doivent sauter quoi qu’il arrive, même en cas de difficultés financières. 

 

Cela signifie, par exemple, que, potentiellement, c’est la place, la rue ou encore le parc qui deviennent équipement, et qui sont directement aménagés comme tels, en offrant des possibilités immédiates et sans barrières aux individus comme aux collectifs, spontanés ou organisés. Cela signifie aussi que si l’on peut (ou doit) construire un équipement sportif, il faut l’envisager comme la tête de réseau d’un ensemble composite élargi à l’espace public où toutes et tous peuvent pratiquer. On ne crée plus d’équipements mais des systèmes offrant des niveaux et des possibilités de pratiques divers : l’architecture de ces systèmes sera donc l’architecture du choix. 

 

2) Installer la trame sportive : assurément verte et résolument buissonnante 

 

Sur le terrain, un système se matérialise concrètement en réseau, c’est-à-dire en un ensemble de lieux, de tailles et superficies variables, reliés par des connexions physiques apparentes ou dissimulés mais aussi par des liens télématiques ou purement visuels. 

Tout d’abord, il est absolument essentiel de systématiser le dialogue entre les espaces des activités physiques et sportives et un urbanisme plus écologique. Les trames vertes, les trames bleus, les îlots de fraîcheur et bien d’autres dispositifs, sont positifs pour l’environnement en général mais aussi spécifiquement pour les pratiquants dans la mesure où ils augmentent leur bien être dans de nombreux domaines : rafraîchissement, lutte contre la pollution, reconnexion au vivant, confort visuel ou encore création d’un contexte plus ludique. 

 


Alors que, parfois, les situations opposent les continuités écologiques et ce que nous pourrions appeler les parcours sportifs, leur combinaison est un objectif à poursuivre. Cela peut par exemple se traduire par un parcours actif reliant une gare à un parc dans un cadre largement verdi, où les agrès, la végétation et la conception des équipements sportifs gagne à donner le plus de gages possibles à la protection de l’environnement et peut bien évidemment intégrer des éléments de végétalisation. 

 

Ne pourrions-nous pas créer des jardins sportifs suspendus, qui viendraient remettre en question certaines habitudes d’aménagement ? On bloque parfois les projets d’équipements en leur reprochant de prendre trop de place, le jardin sportif suspendu viendrait répondre à cette préoccupation. Le jardin sportif, suspendu ou non, peut également être vu comme une extension ouverte à toutes et tous pour des installations plus traditionnelles à accès réglementé ou comme la végétalisation conséquente de parcs des sports ou de stades existants. La modularité des espaces créés sera à prévoir afin d’aboutir, idéalement à une cité-jardin ou plutôt à une ville-nature où l’évolution des APS pourrait se faire, selon les désirs de chacun, à l’image de l’évolution humaine, de manière buissonnante. Il s’agit de promouvoir un urbanisme en harmonie avec la nature et les besoins de tous les humains. Cela implique nécessairement une attention toute particulière, en vue de les éliminer, aux mécanismes physiques, psychiques, individuels ou collectifs de discrimination qui peuvent limiter l’accès à des espaces en raison du genre, de l’âge, du handicap ou d’autres facteurs. 

 

3) Changeons de paradigme : hybridons ! 

 

Nous cherchons à promouvoir une ville active mais aussi une ville décloisonnée où, pour répondre à des situations de carences d’espaces, on envisage systématiquement des complémentarités, où l’on questionne parfois les modèles d’équipements sportifs, sans renier, à aucun moment, aucun des besoins auxquels ils sont censés répondre. Cela passe par l’hybridation des fonctions. 

 

Les sports-action sont le carburant moteur de beaucoup d’APS. La dynamique récréative crée est «instagrammable », publiable utilisable par les réseaux. Nouvelle forme de spectacularisation, elle permet d’exister socialement et génère indirectement du mouvement. Par exemple proposer une évolution des pumptracks (pistes avec des ondulations caractéristiques et des virages, utilisées, notamment, pour le vélo BMX) vers des ensembles plus étendus associant des fonctions ou critères d’activités connexes changeant le curseurs, pour élargir le temps d’utilisation du site et le type d’utilisateur, permettrait, tout en augmentant les possibilités de pratique pour les pratiquants les plus confirmés, d’augmenter les possibilités d’initiation ou d’appropriation ludique, à pied, à vélo ou en trottinette, pour bon nombre de personnes, dans des secteurs où les pentes sont plus douces voire nulles. 

 

Les espaces les plus difficiles (sportivement) auraient également l’opportunité de servir de lieu de contemplation et de repos pour d’autres usagers. Cette logique s’appliquerait aisément à d’autres espaces publics dans les espaces intérieurs : qui a dit qu’il ne pouvait pas exister des gymnases-bibliothèques ? 

 

Les éléments ci-dessus renvoient à la notion de chronotopie, c’est-à-dire de l’organisation des usages en fonction des différents moments de la journée. Cette répartition des publics en fonction du temps peut être un excellent moyen de régulation des conflits d’usage. La notion de niveau de difficulté peut aussi permettre l’auto-régulation, tout en incitant celles et ceux qui le souhaitent à se dépasser. Cela n’exclut pas que, au cas par cas, il soit nécessaire d’ajouter un facteur humain, un accompagnement, par un club sportif ou une autre structure. Enfin, faciliter les APS pour toutes et tous, rend nécessaire, dans l’espace public, un effort d’équipement (toilettes, casiers, locaux de stockage de matériel…) qui doit renforcer le confort de pratique, dans une logique d’accessibilité universelle, sans toutefois recréer un équipement «fermé». 




CONCLUSION

 

Il se passe quelque chose au sein de nos sociétés. Au-delà des évolutions dans la conception et la réalisation d’espaces de pratique et de leur pleine intégration aux communs de la ville, il s’agit de faire de l’urbanisme actif et sportif un commun culturel : faire système et organiser la ville pour qu’elle offre en permanence le choix des APS. 

 

L’urbanisme peut encore, selon nous, gagner en sens ludique. Il se doit de changer et de s’adapter aux modes et fonctions nécessaires à la vie urbaine. 

 

Les activités physiques sont fondamentales pour notre santé mais sont aussi d’excellents vecteurs de cohésion sociale et d’excellents vecteurs pour imaginer une ville plus égalitaire et plus inclusive. Ne serait-il pas temps de définir un zonage urbain adapté et des nouvelles méthodes d’aménagement ? 

 


 Eric Charlie Adamkiewicz, Sandrine Bélier, Gilles Champel, Martin Citarella, Sonia Piettre

16 mai 2025

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Eric Charlie Adamkiewicz, maître de conférences en management du sport et développement territorial à l’Université de Toulouse 

 

Sandrine Bélier, docteur en psychologie cognitive, designer cognitif chez Humans Matter, s.belier@humansmatter.co

 

Gilles Champel, expert sport-actions, hybridation et récréation urbaine, gilleschampel@gmail.com

 

Martin Citarella, conseiller aménagement du Comité départemental olympique et sportif de Seine-Saint-Denis (CDOS 93), référent BASE 93, martin.citarella@cdos93.org, www.base93.org

 

Sonia Piettre, géographe-urbaniste, cheffe de projet renouvellement urbain, spiettre@gmail.com


[1] https://doi.org/10.1093/eurpub/ckac071