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vendredi 8 mai 2020

La fourmi du tourisme n’existe pas.


La fourmi du tourisme n’existe pas.

Pourquoi y a t-il un risque de suppression des vacances cet été ?  
Parce que les décideurs, qui ne sont décidemment plus des « élites », ne considèrent pas l’activité touristique comme productrice de richesses.

La relance de l’économie est la priorité absolue après 7 semaines de confinement.  Pourtant un secteur fournissant entre 7 et 8 % du PIB depuis des années est ignoré[1].

Ignoré ? 

En fait les moteurs de l’économie du tourisme sont presque complètement inconnus ou inaudibles, à part pour les experts du domaine. 

On veut relancer l’activité des entreprises, faire tourner les transports en commun en adaptant l’organisation (distance entre les usagers - qui sont aussi des clients), rouvrir les écoles (comme garderies pas comme lieux d’apprentissage de connaissances), mais les lieux permettant aisément d’avoir de la distance entre les individus, non. Plages, parcs, montagnes, campagnes, rues des villes vidées de leurs voitures, ont été considérés comme trop dangereux jusqu'au 11 mai; et certains sites ne pourront ouvrir que sur autorisation préfectorale après demande des maires…, alors que pour le métro ou les trams ? 
Cherchez l’erreur.

En fait c’est le syndrome de la cigale et la fourmi. La fourmi doit aller travailler, mais la cigale ne peut pas aller se promener, manger, boire… vivre … et consommer pour relancer l’économie. 

On est soit cigale, soit fourmi, mais la fourmi du tourisme est invisible, elle n’existe même pas.

Et elle est invisible depuis des années et suscite relativement peu d’intérêts et d’égards. La fourmi, elle qui fait vivre les hôtels, permet à la gastronomie française de s’afficher comme un marqueur de l’identité culturelle française, accueille dans les grands sites historiques, sert dans les restaurants les produits agricoles français, fait fonctionner les stations touristiques du littoral et des montagnes, anime les festivals…

Cette fourmi là, ne peut pas participer à relancer l’économie française ? Non. 
Parce qu’elle s’occupe des cigales… qui étaient elles-mêmes fourmis avant de prendre quelques jours de vacances. Et on peut même se demander si même à Bercy et dans les cercles des « sachants », la fourmi du tourisme n’est pas confondue avec une cigale.

Plages fermées, alors qu’il y a de la place ; montagnes inaccessibles alors qu’il y a de l’espace à disposition et un environnement sain… Et ce n’est pas une question de risques pour y accéder puisque ces territoires sont généralement envahis par des véhicules automobiles individuels puisqu’on y a supprimé depuis quelques années les lignes de trains… 

Promenades interdites, pratique du vélo limitée… sauf si c’est pour aller au travail, activités aquatiques et nautiques interdites pas assez de distances entre deux pratiquants de kite-surf , trop de risques de croisements sur les pentes de nos montagnes ?

7 à 8 % du PIB, de la richesse non délocalisable qui fait dire à certains que « nous sommes la première destination touristique mondiale », ce qui est faux puisque les données fiables n’existent pas[2], et nous ne sommes pas capables de dire :


« ok, on est parmi les leaders, donc on est capable de fonctionner avec notre clientèle intérieure, puis on accueillera de nouveau le monde entier, avec grand plaisir ».


Affligeant.



Les français doivent aller travailler, pas partir en vacances. 
Oui, mais s’ils consomment ? Si ces vacances étaient un des moyens d’accompagner la relance de la machine économique ?  

Aller dans les gîtes, les tables d’hôtes, les hôtels, les campings, sur les terrasses des restaurants de campagnes … ou des villes débarrassées des voitures ? En adaptant les situations aux risques sanitaires bien sûr. Aucun professionnel sérieux ne souhaite mourir ou contaminer ses clients, surtout s’il cherche à les fidéliser.

Il faut dire que le touriste intéressant est étranger. 

La France avec sa stratégie fumeuse des 100 millions de visiteurs ne s’est focalisée depuis des années que sur les visiteurs étrangers et leurs apports de devises. Et nous voilà bien embarrassé aujourd’hui avec nos aéroports et nos produits phares destinés principalement aux étrangers !!! Alors même que nos petits aéroports locaux, qui nous coûtent les yeux de la tête et dont on questionne aujourd’hui l’impact écologique, ne peuvent même plus désenclaver nos territoires ruraux où l’espace est à perte de vues… 

Et si c‘était le moment de se poser les questions de réorganisation de l’offre touristique, de ses temporalités, de la gestion de ses flux, de l’organisation et la vision que nous avons des territoires ?

Au-delà du tourisme, c’est toute la filière du divertissement et de la vie des territoires qu’il faut interroger et réintégrer dans le logiciel des décideurs qui ne raisonnent qu’avec un modèle économique de production industrielle du XIXè siècle. Raisonnement à bout de souffle puisqu’il n’a même pas sauvé les outils de productions de matériels qui auraient été nécessaires lors de cette crise sanitaire.

Allons-nous continuer à nier le poids de l’économie touristique, de son intérêt dans l’économie nationale et de l’existence même de son marché intérieur? Les décideurs sont-ils ignares, mal conseillés ou atteints d’un mal incurable limitant leurs capacités d’analyses ?

Le tourisme et le divertissement, les deux se mêlent, sont deux géants de la production de richesses en France.  Productions non délocalisables, faisant travailler des millions de personnes, permettant de valoriser nos terroirs et notre histoire,  à travers des éléments culturels forts… des châteaux de la Loire aux paysages naturels les plus préservés.

Mais la fourmi du tourisme ne peut pas aller travailler car elle ne peut pas accueillir, la fourmi devenue cigale durant son temps de repos. Mais reste-t-il des temps de repos ?

Les soignants, policiers, pompiers, caissières, éboueurs et l’ensemble des français dont une partie a été confinée devront-ils continuer à travailler pour participer à l’effort national ? Certains proposent même de leurs faire perdre, des jours de congés et de dégrader leurs conditions de travail…  

Fin des applaudissements, il faut repartir au charbon. 

Ah, non pas le charbon, ce n’est pas bon pour la planète et ça fait un peu trop XIXème. Mais depuis 7 semaines c’est parfois le moyen-âge que l’on nous annonce au niveau de l’économie du monde d’après. 
Du sang et des larmes, quel beau projet enthousiasmant.

Pathétique.



Les vacances devront, peut être, être supprimées ! 

C’est nier la fonction reconstructive des vacances indispensable l’efficacité du travail (Dewailly, Flament 2000)[3] et du niveau de productivité des français (données OCDE)[4], mais nous ne sommes plus à une erreur près. 
Et c’est nier, méconnaitre, oublier, ne pas comprendre… que le tourisme et le divertissement sont aussi de l’économie. 

La clientèle intérieure existe, la même qui va dans les commerces, chez le boulanger, qui commande par internet. Sauf que cette clientèle captive, présente sur les territoires (et pour cause), peut participer à faire repartir une économie nationale mal en point. 

Les destinations touristiques des territoires ont toujours été capables de s’adapter lorsqu’il y a des impondérables (incendies, plans d’hébergements d’urgences …) pourquoi en seraient-elles incapables aujourd’hui ? Du groupe Accor en passant par le Club Med, tout comme le petit hébergeur ou le prestataire de loisir sportif en milieu naturel,  tous ont préparé les solutions pour faire repartir leurs activités et proposer à leurs clients des prestations respectant les principes de précautions avec lesquelles nous allons devoir vivre un moment.

Le gîte de la Drôme est plus dangereux que le métro à Paris ? Le petit hôtel dans l’Ariège est plus à risque que le tram de Nice ? La plage de Lacanau n’est pas assez grande ? Et les espaces montagnards avec leurs hébergements systématiquement remplis à moins de 50 % de clientèles ne proposent pas assez d’air pur, de bons produits, d’espaces de jeux et des paysages grandioses ?

Ce qui pêche c’est l’absence de vision stratégique du tourisme et des impacts économiques véritables en France. 

Prétexte à l’aménagement du territoire depuis l’après-guerre, son poids dans l’économie du pays n’est véritablement pas appréhendé à la hauteur de ses réalités et de ses effets réels. Ni en métropole, ni dans les départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer, les approches ne sont suffisamment utilisées et prises au sérieux dans les cercles du pouvoir. Pourtant, nous avons des données, des analyses, des études, des statistiques qui ne sont lues que par un petit nombre de personnes (un peu comme les rapports indiquant les risques de pandémie et les procédures à surveiller …). Donc, on a les éléments de connaissance, mais on ne s’en sert pas (données Atout France, Organisation Mondiale du Tourisme, travaux de recherches universitaires). 

Bercy s’en moque ou n'écoute pas ceux qui pensent que c'est un véritable atout français.
Et comme il n’y pas eu de cours à l’ENA sur le tourisme, on se limite à penser œnologie pour son plaisir et loisirs sportifs d’agrément.

Du reste, pour être véritablement « La première destination touristique mondiale », il faudrait proposer (et cette crise en est tellement révélatrice) un ensemble de services fonctionnant à l’année sur l’ensemble des territoires pour permettre l’accueil dans des conditions optimales de visiteurs étrangers et nationaux[5].

Il faudrait donc se pencher sur la gestion des flux, les saisonnalités, les liens entre les productions locales et les modes de consommations de visiteurs potentiellement prescripteurs et générateurs de nouveaux clients. Et envisager un tourisme raisonné, mais il faudrait alors l'intégrer comme ressource adaptable.

Raisonner à l’échelle des territoires sur ce qu’ils offrent à vivre et à partager ; et pas uniquement faire des campagnes de communication où chacun essaye d’avoir la plus grosse affiche ou visibilité que le voisin … qui est aussi un partenaire. 

Mais la fourmi n’est pas prêteuse… paraît-il … Ce qui est démenti dans tous les territoires touristiques lors des intersaisons.

La solidarité existe et elle pourrait se manifester sur l’ensemble du territoire, si les tenants des fables d’antan et d’aujourd’hui étaient capables d’analyses construites et de mises en perspectives réalistes.



Mais aujourd’hui encore, la fourmi du tourisme n’existe pas.


Publié le 8 mai 2020 à 12h50

Eric Adamkiewicz 
Maître de conférences en Management du Sport et Développement Territorial 
Responsable du Master 2 Management du Sport Ingénierie de Développement par le Sport et les Loisirs.
Faculté des Sciences du Sport et du Mouvement Humain de l'Université Paul Sabatier de Toulouse

Ancien Directeur Général des Services de l'Office de Tourisme des Arcs -Bourg St Maurice 
Ancien Vice-Président de la Fédération Nationale des Offices de Tourisme et Syndicats d'Initiatives 




13h47
Je crois qu’en plus d’avoir développé une très forte absence de raisonnement, certains sont confinés dans leurs certitudes depuis beaucoup trop longtemps....
Pas certain qu'ils arrivent à en sortir pour préparer le monde d'après.
  


[1] https://www.economie.gouv.fr/cedef/statistiques-officielles-tourisme
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b1271_rapport-information
[3]DEWAILLY J.M., et FLAMENT E. 2000 - Le tourisme.Paris, S.E.D.E.S., 192 p.
[4] http://www.oecd.org/fr/sdd/stats-productivite/
[5] Pour que le tourisme soit un projet pour tous les territoires, il va falloir booster la copie ! https://ericadamkiewicz.blogspot.com/2017/08/pour-que-le-tourisme-soit-un-projet.html




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